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La civilisation du poisson rouge de Bruno Patino

Posted on septembre 17, 2025septembre 22, 2025 By jeansaistrop76@gmail.com Aucun commentaire sur La civilisation du poisson rouge de Bruno Patino

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Sommaire

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  • La Civilisation du Poisson Rouge : Décryptage d’une Société de l’Attention et de l’Addiction Numérique 🐠
    • 1. Aux Origines de la « Civilisation du Poisson Rouge » : La Disparition des 9 Secondes ⏳
      • 1.1. Le Mythe de la Mémoire Éphémère Révélée 🧠
      • 1.2. L’Alarmante Comparaison avec l’Attention Humaine 🧑‍💻
      • 1.3. Une Menace pour la Santé Mentale 😟
    • 2. L’Économie de l’Attention : Le Moteur de l’Addiction Numérique 💸
      • 2.1. Les Mécanismes de la Dépendance : De la Souris de Skinner aux Réseaux Sociaux 🐭
      • 2.2. Les Stratégies de Captation : La Captologie et le Dark Design 🧠
      • 2.3. La Ruée vers le Temps : La Nouvelle Richesse Numérique ⏱️
    • 3. L’Utopie Écroulée : Du Cyberespace Libertaire au Bocal Numérique 💔
      • 3.1. Les Rêves Originels du Web : Une Noosphère Libertaire 🌈
      • 3.2. La Trahison et la Repentance des Pionniers : Les Géants Numériques Accusés 🚨
    • 4. Les Conséquences Sociétales : Fragmentation, Doute et Désinformation 🌐
      • 4.1. La Fragmentation de la Réalité : Bulles de Filtre et Umwelten Individuels 🛡️
      • 4.2. L’Économie du Doute et l’Empire des Croyances : 🎭
      • 4.3. Les Biais Cognitifs et la Polarisation Numérique : ⚖️
    • 5. Les Défis et les Voies de la Libération : Combattre et Guérir 🚀
      • 5.1. La Nécessité d’une Régulation Économique : Encadrer les Géants du Net ⚖️
      • 5.2. Développer des Alternatives Numériques Humanistes : Repenser les Outils 🛠️
      • 5.3. Les Ordonnances Personnelles et Sociétales : Retrouver la Maîtrise 🧘
    • Conclusion : Vers un Nouvel Humanisme Numérique 🕊️

La Civilisation du Poisson Rouge : Décryptage d’une Société de l’Attention et de l’Addiction Numérique 🐠

Dans un monde hyperconnecté où les écrans sont devenus une extension de nous-mêmes, une métaphore frappante émerge pour décrire la condition humaine contemporaine : celle de la « civilisation du poisson rouge ». Cette expression, au cœur de la source analysée, symbolise l’érosion de notre capacité d’attention, la soumission à des stimuli numériques incessants et l’enfermement progressif dans un « bocal » virtuel. Loin d’être une simple observation anecdotique, elle révèle les mécanismes profonds d’une économie de l’attention vorace, les utopies numériques déchues et les défis majeurs auxquels nos sociétés sont confrontées en matière de santé mentale, de cohésion sociale et de vérité.

Cet article propose un résumé et une analyse approfondis de cette « civilisation du poisson rouge » telle que décrite dans les sources, explorant ses origines techniques et psychologiques, ses manifestations sociétales, et les pistes envisagées pour « combattre et guérir » de cette emprise numérique.

1. Aux Origines de la « Civilisation du Poisson Rouge » : La Disparition des 9 Secondes ⏳

L’image d’un magnifique poisson rouge, l’œil rivé à son bocal, projetée sur un écran géant par un employé confiant de Google, sert d’introduction saisissante à la problématique de l’attention à l’ère numérique. Ce « Googler », vêtu de tous les attributs de la réussite mondiale, présente une trouvaille issue de la « formidable puissance de calcul informatique requise par l’intelligence artificielle » : la durée réelle de l’attention du poisson rouge.

1.1. Le Mythe de la Mémoire Éphémère Révélée 🧠

Le poisson rouge, animal souvent perçu comme stupide et tournant sans fin dans son bocal, est traditionnellement associé à une mémoire et une attention extrêmement réduites. L’homme qui fait la présentation souligne que beaucoup se sont contentés de cette légende, heureux d’avoir une expression pour excuser un moment d’inattention. Cependant, les recherches de Google, étendues au « domaine de son calcul numérique », ont abouti à une conclusion : l’animal est incapable de fixer son attention au-delà de 8 secondes. Passé ce délai, son « univers mental » est remis à zéro, transformant la répétition en nouveauté et la petitesse de sa prison en un monde infini.

1.2. L’Alarmante Comparaison avec l’Attention Humaine 🧑‍💻

La révélation la plus troublante ne concerne pas le poisson, mais l’être humain. Les ordinateurs de Google ont également estimé le temps d’attention de la génération des Millennials, ceux nés avec la connexion permanente et ayant grandi avec un écran tactile. Ce temps d’attention, cette capacité de concentration, est annoncé à 9 secondes. Une seule seconde de plus que le poisson rouge. Au-delà de ces 9 secondes, le cerveau humain a besoin d’un nouveau stimulus, d’un nouveau signal, d’une nouvelle alerte ou recommandation.

Cette durée « dérisoire » brise les rêves numériques d’un cyberespace illimité, promettant l’infini. Au lieu de cela, nous sommes devenus des « poissons rouges, enfermés dans le bocal de nos écrans, soumis au manège de nos alertes et de nos messages instantanés ». Notre esprit tourne en rond, de tweets en vidéos YouTube, de snaps en mails, sans réaliser l’infernale répétition dans laquelle les interfaces numériques nous enferment, après leur avoir confié notre « ressource la plus précieuse : notre temps ».

1.3. Une Menace pour la Santé Mentale 😟

Les études corroborent cette dérive. Une recherche du Journal of Social and Clinical Psychology évalue à 30 minutes le temps maximum d’exposition aux réseaux sociaux et aux écrans d’Internet au-delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale. L’auteur de la source confesse lui-même être dans un cas « désespéré », et n’est pas le seul à vivre dans ce « monde des drogués de la connexion stroboscopique ». Les statistiques mondiales confirment l’inquiétude : le temps moyen quotidien passé sur smartphone a doublé entre 2012 et 2016, atteignant des niveaux alarmants (4h48 au Brésil, 2h37 aux États-Unis, 1h32 en France). Les experts s’attendent à un nouveau doublement d’ici 2020, et près de 70% des Français reconnaissent être dépendants de leurs écrans.

Cette dépendance s’étend bien au-delà des smartphones, avec des jeunes Américains consacrant 8 heures par jour à l’ensemble des écrans connectés. Des récits comme celui de Casey, une adolescente de 14 ans du New Jersey, illustrent cette « esclave consciente de son emprisonnement » : « Facebook m’a pris ma vie ». Les consultations médicales regorgent d’histoires d’adolescents « amputés de leur enfance » par les écrans, souffrant de dépression et parfois de pensées suicidaires.

2. L’Économie de l’Attention : Le Moteur de l’Addiction Numérique 💸

La dérive vers cette « civilisation du poisson rouge » n’est pas le fruit du hasard, ni un simple déterminisme technologique. Elle est le produit d’un « nouveau capitalisme », une « économie de l’attention » dont les algorithmes sont les « machines-outils ».

2.1. Les Mécanismes de la Dépendance : De la Souris de Skinner aux Réseaux Sociaux 🐭

Le glissement de l’habitude vers l’addiction est défini par trois éléments clés : la tolérance (nécessité d’augmenter les doses pour le même effet), la compulsion (impossibilité de résister à l’envie) et l’assuétude (servitude à cette envie). L’observation de soi et de son entourage force le diagnostic : « nous sommes sous emprise ».

Ces mécanismes ne sont pas nouveaux. En 1931, un laboratoire des sciences du comportement à Harvard a documenté les théories comportementales utilisées par l’industrie du jeu, puis par les réseaux sociaux. L’expérience avec une souris dans une boîte, connue sous le nom de « souris de Skinner » (référence au professeur Burrhus Frederic Skinner), a mis en lumière le biais comportemental produit par les systèmes à récompense aléatoire.

  • L’expérience de Skinner : Au début, la souris apprend qu’appuyer sur un bouton procure de la nourriture. Rapidement, elle ne déclenche le mécanisme que lorsqu’elle a faim, devenant « maître d’une machine construite pour la contrôler ».
  • La modification du protocole : Les chercheurs introduisent l’aléatoire. Parfois beaucoup de nourriture, parfois rien, parfois une petite dose. L’incertitude ne décourage pas la souris ; au contraire, elle appuie de plus en plus fréquemment, violemment, automatiquement, même rassasiée. La nourriture devient secondaire, l’animal est « incapable de se détacher du bouton ».
  • L’application au numérique : L’incertitude de la récompense produit une compulsion qui se transforme en addiction. Ce principe est délibérément utilisé par les grandes entreprises de la Silicon Valley. Le « bric-à-brac désordonné » des fils Twitter, des timelines Facebook, ou de l’application Tinder, où l’on trouve du sublime au minable, de l’utile au dérisoire, reproduit cet effet de machine à sous. Les algorithmes de Tinder, par exemple, entretiennent ce caractère aléatoire pour maintenir l’utilisateur « accro ». La satisfaction instantanée génère de la dopamine, la « molécule du plaisir », qui incite le cerveau à recommencer, transformant la dépendance en addiction à la dopamine.

D’autres techniques psychologiques sont utilisées :

  • L’effet Zeigarnik (complétude) : Créer une série d’actions liées et non résolues pousse l’utilisateur à ne ressentir de satisfaction qu’à la fin de la série. Netflix l’utilise avec l’enchaînement automatique des épisodes (« autoplay ») et des séries conçues pour maintenir la frustration liée au visionnage incomplet, passant de l’habitude à l’addiction.
  • La prise en charge de la fatigue décisionnelle : Les environnements qui soulagent l’utilisateur de la prise de décision deviennent nécessaires et prennent le pas sur le contrôle du cerveau.
  • La théorie de l’expérience optimale (flow) : Des jeux simples comme Candy Crush adaptent leur difficulté pour extraire le joueur de son environnement immédiat et de ses soucis, offrant une bulle protectrice où la compétition est « mise en scène » sans conséquences réelles.

2.2. Les Stratégies de Captation : La Captologie et le Dark Design 🧠

Au cœur de cette économie de l’attention se trouve le Persuasive Technology Lab de l’Université de Stanford, dirigé par le Dr. B.J. Fogg. Fogg, souvent qualifié de « nouveau gourou » ou de « fabricant de millionnaires », a formé de nombreux leaders de la Valley, dont les fondateurs d’Instagram. Sa science, la « captologie », est « l’art de capter l’attention de l’utilisateur, que ce dernier le veuille ou non ».

La captologie s’inspire de l’observation des adolescents, naturellement tournés vers la compétition et les indicateurs de performance (points, niveaux, scores) dans un cadre protecteur de jeu, loin de la « vraie vie ». L’attraction des plateformes numériques est développée en agissant sur trois éléments du comportement : la motivation, l’habileté et l’élément déclencheur. Ce dernier peut être lié à la comparaison sociale (Leon Festinger) ou à la FoMO (« Fear of Missing Out »), l’anxiété de rater l’immanquable.

Le design des interfaces (UX Design) est devenu une « arme économique » qui transforme l’habitude en addiction. Le « dark design » est sa version la plus agressive, visant le « brain hacking » ou le piratage du cerveau. Les géants de l’Internet l’utilisent dans une course aux armements : « soit elles arrivent à pirater les neurosciences pour agrandir leur part de marché et faire d’immenses profits, soit elles laissent la concurrence le faire et partir avec le marché ».

2.3. La Ruée vers le Temps : La Nouvelle Richesse Numérique ⏱️

Le capitalisme numérique est un « data-capitalisme », où les données personnelles sont le « pétrole » et le « temps » est l' »or ». Le sociologue Hartmut Rosa souligne que, contrairement à l’industrialisation qui promettait plus de temps libre, le progrès numérique a paradoxalement conduit à un manque de temps. Le temps est devenu la « denrée rare, la ressource la plus demandée ».

L’économie de l’attention s’empare du temps de deux manières :

  1. Réduire le temps nécessaire pour des actions habituelles.
  2. Augmenter la productivité en permettant des actions simultanées (« multitasking »).

Ces stratégies visent à maximiser la consommation de biens et services par l’utilisateur. La valeur du temps augmente avec sa rareté, et les algorithmes, véritables « chasseurs de temps », sont conçus pour capter, prévoir et influencer les comportements en permanence, rendant les utilisateurs accros aux plateformes et services. Le philosophe Éric Sadin parle à ce sujet de « bêtise artificielle », et Byung-Chul Han d' »auto-asservissement ». Cette exploitation est une « mine à ciel ouvert », toujours plus coûteuse et dangereuse pour les « mineurs » que sont devenus les utilisateurs. Les notifications « folles » et les alertes incessantes maintiennent une vigilance permanente, même sur l’absence d’activité, car « dans la quête pour l’attention, il n’y a pas de limite possible ».

3. L’Utopie Écroulée : Du Cyberespace Libertaire au Bocal Numérique 💔

L’avènement de la « civilisation du poisson rouge » est une trahison de l’idéal originel du numérique, un « rêve brisé » qui a laissé place à une « servitude numérique volontaire ».

3.1. Les Rêves Originels du Web : Une Noosphère Libertaire 🌈

Aux débuts de l’Internet, l’espoir était celui d’une « utopie numérique » basée sur l’accès universel gratuit et la collaboration. Des figures comme John Perry Barlow, « parolier du Dead » et cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), incarnaient cet idéal libertaire. En 1996, il rédige la « Déclaration d’indépendance du cyberespace », un texte fondateur qui proclame un monde « partout et nulle part », sans territoire ni contraintes physiques, régi par la liberté d’accès et d’expression.

Cette vision s’inspirait des adeptes de Pierre Teilhard de Chardin, philosophe, théologien et paléontologue. Sa théorie de l’évolution, combinant science et transcendance, évoque la création d’une conscience universelle, la noosphère, née de l’interconnexion des cerveaux humains. Pour Barlow et ses disciples, l’Internet était cette noosphère en construction, une création qui allait bouleverser l’humanité et la faire franchir une étape supplémentaire dans son évolution. Ce rêve d’une « civilisation de l’esprit » dans le cyberespace se voulait « plus humaine et plus juste » que le monde issu des gouvernements.

Cet optimisme numérique était alimenté par l’idée d’une information illimitée pour tous, d’une « économie du partage ». Des concepts comme la « sagesse des foules » ou « l’intelligence collective » (James Surowiecki) postulaient qu’un grand nombre de participants connectés pouvaient corriger les erreurs et que le réseau serait « pur et parfait », sans biais ni distorsions.

3.2. La Trahison et la Repentance des Pionniers : Les Géants Numériques Accusés 🚨

Quinze ans après sa proclamation, la Déclaration d’indépendance du cyberespace ressemble à la « lumière d’une étoile morte ». La « sagesse » espérée des foules ne s’est pas présentée, laissant place à la « dépendance aux écrans, l’outrance du débat public, la polarisation de l’espace public ». L’utopie est « tuée par les monstres auxquels elle a donné naissance », principalement « l’emportement collectif né des passions individuelles et le pouvoir économique né de l’accumulation ».

Un « bal des repentis » a commencé, avec d’anciens cadres dirigeants de la Silicon Valley exprimant des regrets et dénonçant les dérives. Sean Parker (ancien de Facebook) s’inquiète de l’impact sur le cerveau des enfants. Chamath Palihapitiya (ancien de Facebook) et Justin Rosenstein (créateur du bouton « like ») rejoignent cette critique. Tristan Harris, ancien designer d’éthique chez Google, incarne ce mouvement en affirmant que l’objectif réel des géants de la tech est de « rendre les gens dépendants, en profitant de leur vulnérabilité psychologique ». Ces « repentis » se regroupent dans des associations comme Time Well Spent ou Center for Humane Technology.

Le plus emblématique de ces opposants est Tim Berners-Lee, « le père de l’Internet », qui regrette publiquement sa création. Il a lancé la World Wide Web Foundation et le projet Solid pour construire un « contre-Internet » décentralisé, car « la centralisation accrue du Web a fini par produire un phénomène émergent de grande ampleur qui attaque l’humanité entière ». L’égalité des débuts a cédé la place à une « asymétrie inédite », où des entreprises comme Facebook, Google et Amazon sont capables de « contrôler, manipuler et espionner comme nul autre auparavant ».

Le tournant est identifié autour de 2008, avec l’arrivée de Sheryl Sandberg chez Facebook, qui importe le modèle de la publicité ciblée développé par Google. Ce modèle, basé sur les données individuelles, est devenu la principale source de revenus des plateformes, transformant le partage en « prédation ». Mark Zuckerberg lui-même, bien que plaidant non-coupable et invoquant la liberté d’expression, ne parvient pas à écarter le rôle de son modèle économique. Les plateformes, bien qu’elles refusent d’être considérées comme des médias, ont adopté leur comportement économique, copiant la publicité, mais sans les contraintes normatives.

4. Les Conséquences Sociétales : Fragmentation, Doute et Désinformation 🌐

L’économie de l’attention et les mécanismes addictifs ont des répercussions profondes sur notre perception de la réalité, la qualité du débat public et la notion de vérité.

4.1. La Fragmentation de la Réalité : Bulles de Filtre et Umwelten Individuels 🛡️

Les algorithmes de personnalisation des plateformes piègent les utilisateurs dans des « bulles de filtrage » (Filter Bubbles), un concept développé par Eli Pariser. Ces algorithmes sélectionnent l’information en fonction du comportement passé de l’utilisateur, de ses similarités avec d’autres, de l’association entre contenus proches, et des contenus populaires, créant ainsi une réalité qui « nous est conforme ».

Cette logique conduit à la création d’autant de réalités que d’utilisateurs, une « infinité d’Umwelt » (réalité perçue) comme le décrivait le fondateur de l’éthologie Jakob von Uexküll, qui s’oppose à l’Umgebung (réalité globale, inaccessible). La solidarité collective, qui naît d’une expérience partagée, s’estompe, car « nous vibrons de moins en moins ensemble à distance ».

L’écrivain Philip K. Dick, avant même l’invention d’Internet, prévenait : « Le bombardement de pseudo-réalités finit par produire des humains non authentiques, aussi faux que les données qui les entourent de toute part ». La société numérique nous a fait basculer du monde orwellien de « 1984 » (oppression extérieure) vers celui de « Le Meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley (servitude par le plaisir et la distraction). Cependant, la source ajoute une nuance cruciale : ce « flot [de contenu] est organisé par une économie prédatrice », et « le retour d’Orwell ne s’est pas fait par le politique, mais par l’économique ».

4.2. L’Économie du Doute et l’Empire des Croyances : 🎭

Cette fabrique de réalités individuelles a engendré un « empire du faux », où robots, faux comptes, faux sites et faux contenus génèrent une « attention factice », parfois par des « usines à clics ». L’incapacité de Facebook à fournir des chiffres d’audience fiables et la détection par YouTube de fausses audiences de robots illustrent cette inversion où l’activité humaine devient minoritaire et « déviante » face à celle des machines.

La « déchéance de la vérité » (truth decay) analysée par la Rand Corporation est en fait une « multiplication des voix, des convictions et des contextes d’interprétation ». Le film « Rashomon » d’Akira Kurosawa, où chaque personnage livre une version « véridique » d’un crime sans lien avec les autres, est une allégorie de cette polyphonie numérique et de « l’incertitude globale dans laquelle elle finit par plonger la sphère publique ». « Il n’existe plus de récit unique possible ».

L’économie de l’attention a « démocratisé l’économie du doute », en la rendant techniquement accessible à tous et économiquement rentable. Phineas Taylor Barnum, inventeur du cirque moderne, avait déjà constaté à quel point « le public aime être trompé, pour autant qu’il soit diverti ». L’industrie du tabac, face aux preuves de nocivité, a développé la stratégie de « brouillage des messages par la production de pseudo-expertises alternatives », affirmant : « Notre produit, c’est désormais le doute ».

Internet a supprimé les barrières à l’entrée pour la production de doute, la rendant accessible à tous. Cette « économie du doute » prospère pour trois raisons :

  1. Volume : Il est plus facile et moins cher de produire de la vraisemblance (qui repose sur un « déclencheur émotionnel ») que de la vérité (qui demande un travail long et rigoureux).
  2. Attractivité : Le doute questionne, provoque un choc émotionnel, et possède un fort potentiel viral (likes, shares), ce qui le rend économiquement précieux dans un modèle publicitaire.
  3. Indiscrimination des émetteurs : Les plateformes, en reprenant le discours libertaire d’égalité des voix, permettent à tout contenu « sponsorisé » (payant) d’être plus vu, quelles que soient sa nature ou son origine.

Cet « empire des croyances » nourrit la culture du complot. La série X-Files, avec son slogan « I want to believe », a anticipé cette ère où « tout le monde, désormais, veut croire », et où les réseaux charrient les croyances de chacun, s’entrechoquant avec violence et discréditant le complot unique au profit de « chapelles multiples ». Le réseau permet toutes les corrélations étranges, transformant des coïncidences statistiques en liens de causalité (ex: noyades dans les piscines et films de Nicolas Cage).

4.3. Les Biais Cognitifs et la Polarisation Numérique : ⚖️

Gérald Bronner a distingué trois biais cognitifs majeurs amplifiés par l’ère numérique :

  • Le biais de confirmation : Les moteurs de recherche permettent de toujours trouver ce que l’on cherche, même les thèses les plus marginales (ex: les « platistes »).
  • Le biais de représentativité : Un exemple est mis en avant et transformé en vérité universelle.
  • Le biais de simple exposition : La répétition d’un contenu lui confère plus d’importance dans l’espace mental de l’utilisateur.

Ces biais, combinés à la structure asymétrique des réseaux (« certains votent une fois et d’autres mille »), favorisent les plus déterminés et actifs. La « montée aux extrêmes » et la polarisation de l’espace numérique sont des conséquences logiques, le réseau encourageant la réponse émotionnelle plutôt que rationnelle.

Deux autres effets culturels sont notables :

  • L’effet Dunning-Kruger : Il relie l’ignorance à une confiance en soi absolue (« Mr. Stupid Peak »), tandis que le début de l’acquisition du savoir génère un « sommet M. Idiot » et une « vallée du désespoir », avant une reprise plus modérée de la confiance avec l’expertise. Moins on sait, plus on affirme, et plus on est visible sur les réseaux.
  • La loi de Poe : Énoncée par Nathan Poe, elle constate qu’il est « parfaitement impossible de parodier un créationniste sans que quelqu’un, quelque part, prenne cette parodie pour une déclaration sérieuse et originale ». L’infinité des contextes de réception sur les réseaux sociaux fait que parodie et sérieux se confondent, alimentant la colère et l’indignation.

Le phénomène QAnon, avec sa lettre « Q » brandie par des partisans extrémistes de Donald Trump, illustre parfaitement la fusion du complot et de l’économie du doute. Ce qui a pu être une plaisanterie initiale, visant à se moquer de la paranoïa, est devenu une « sorte de réalité » pour ceux qu’elle visait à ridiculiser, rappelant les récits de Borges ou Eco sur l’invention de réalités fictives qui finissent par s’imposer.

5. Les Défis et les Voies de la Libération : Combattre et Guérir 🚀

Face à cette « civilisation du poisson rouge », l’apocalypse numérique n’est pas inéluctable. Il existe une voie entre la « jungle absolue d’un Internet libertaire » et « l’univers carcéral de réseaux surveillés ». Le chemin passe par une double approche : « combattre et guérir ».

5.1. La Nécessité d’une Régulation Économique : Encadrer les Géants du Net ⚖️

Le premier combat est contre les « idées fausses » de l’autorégulation et de l' »autodiscipline » des géants du Net. Croire qu’une entreprise cotée en bourse freinera ses recettes pour le bien commun est « un pari déraisonnable ». L’histoire montre qu’une menace coordonnée de régulation peut être efficace.

La négociation doit porter sur la redistribution du temps, et pas seulement des revenus. Des exemples existent déjà, comme la restriction d’accès aux casinos pour les personnes fragiles ou l’exigence d’un âge minimal. Il s’agit de limiter la captation d’attention par le « brain hacking » des algorithmes et du graphisme, échangeant une rentabilité immédiate moindre contre une pérennité accrue des plateformes.

Trois domaines prioritaires d’intervention collective sont identifiés :

  1. Les algorithmes paramétrés pour maximiser l’efficacité économique des messages, qui donnent une prime de visibilité aux contenus qui provoquent colère et émotion. Il faut en « diminuer la portée et le champ d’application ».
  2. Le graphisme des interfaces (dark design) qui développe des comportements addictifs. Imposer un caractère « sain » ou éthique devient une mesure de santé publique.
  3. Le champ d’application de la logique publicitaire de l’attention au sein même des plateformes. À l’image des médias classiques qui ont toujours strictement séparé publicité et contenu éditorial, des règles doivent être édictées pour « canaliser les messages publicitaires ».

Il est également crucial de « réfléchir au cadre juridique des plates-formes en sortant du modèle américain de l’irresponsabilité éditoriale des hébergeurs ». Définir une responsabilité adéquate, notamment en matière d’information, est un chemin « long, tortueux et difficile » mais nécessaire.

5.2. Développer des Alternatives Numériques Humanistes : Repenser les Outils 🛠️

Au-delà de la régulation, il est essentiel de développer des « offres numériques qui ne répondent pas à l’économie de l’attention ». Cela inclut les projets de « contre-Internet » de Tim Berners-Lee (Solid), mais aussi des « réseaux sociaux publics » défendus dans certaines universités, rappelant la création de la BBC pour échapper à la domination privée.

Une « intelligence artificielle écologique » et un projet industriel et technologique ambitieux pour l’Europe sont d’autres pistes. Les médias publics, n’étant pas financés par la publicité, ont un rôle « essentiel » à jouer en investissant les plateformes avec un message « différent, vérifié » et en offrant une « pause » dans les logiques d’attention pure. Ils peuvent créer des outils technologiques « qui prennent le contre-pied des logiques de l’économie de l’attention », comme des algorithmes qui ouvrent à d’autres opinions, des outils de contrôle du temps passé sur les offres jeunesse, ou des alertes en cas de surconsommation.

5.3. Les Ordonnances Personnelles et Sociétales : Retrouver la Maîtrise 🧘

La « nouvelle sagesse » implique un « nouvel apprentissage de la liberté ». L’enjeu est désormais l’accès à la déconnexion, au silence, à la méditation, à la réflexion déployée. Cela passe par des règles personnelles simples et des fonctionnalités technologiques intégrées.

Quatre « ordonnances » sont proposées pour sortir de la « civilisation du poisson rouge » :

  1. Sanctuariser : Créer des « zones hors connexion », à l’image des zones non-fumeurs, dans les écoles, lieux de savoir, de prière, ou même au sein de la famille. Les entrepreneurs de la Silicon Valley, qui placent leurs enfants dans des écoles « tech free », l’ont bien compris. L’objectif est de rendre cela « technologiquement aisé », intégré au fonctionnement des réseaux.
  2. Préserver : Définir des moments sans connexion et sans interaction sociale numérique (les nuits, les moments d’intimité personnelle, les vacances). Les plateformes pourraient même encourager ces pauses, au lieu de bombarder l’utilisateur de messages comminatoires lorsqu’il diminue son usage.
  3. Expliquer : Apprendre la bonne utilisation des réseaux sociaux, les mécanismes d’addiction et les logiques de viralité. Montrer le continuum entre le virtuel et le « réel » pour faire comprendre que ce qui semble anodin en ligne peut avoir des conséquences concrètes.
  4. Ralentir : Promouvoir le ralentissement dans tous les domaines (information, médias, conversations, consommation) pour amorcer un cercle vertueux et reconquérir du temps. Des initiatives comme la lecture obligatoire à l’école sont des outils collectifs de résistance.

Conclusion : Vers un Nouvel Humanisme Numérique 🕊️

La « civilisation du poisson rouge » est le symptôme d’une « trahison » de l’idéal numérique, d’un « laisser-faire que nous avons confondu avec la liberté politique ». Les plates-formes, par leur modèle économique prédateur basé sur l’économie de l’attention, ont transformé une « agora possible en un kaléidoscope de croyances en guerre les unes contre les autres », pour le profit de « marchands d’attention » qui agissent comme des « marchands d’armes ».

Cependant, cette situation n’est pas une fatalité. Les géants numériques ne sont pas des monstres invincibles, mais le produit d’un « moment de fondation » qui, comme les débuts du capitalisme industriel, « laisse ouverte la possibilité de réformes, d’amendements, d’adaptations et de contrôle du modèle ».

Il est possible de mettre un terme à la domination d’une économie de l’attention débridée sans rejeter la société numérique. Il s’agit de la réinstaller dans un « projet porteur d’utopies », de rappeler ses « incroyables potentialités émancipatrices » (accès universel à l’information, savoir, expression publique, économie du partage, avancées en santé, nouvelle forme de démocratie). L’objectif est d’échanger la « fiction transhumaniste pour un nouvel humanisme numérique ».

Ce combat est politique, et cette guérison est un projet de société. En s’engageant collectivement et individuellement à « sanctuariser, préserver, expliquer et ralentir », nous pouvons espérer échapper au bocal numérique et retrouver la pleine maîtrise de notre temps, de notre attention et de notre humanité.

Economie, Santé, Science Tags:9 secondes, Accélération sociale, Addiction numérique, algorithmes, B.J. Fogg, Brain hacking, Bulles de filtrage, Captologie, Civilisation du poisson rouge, Cyberespace, Dark design, Déconnexion, Données personnelles, Dopamine, Économie de l'attention, Écrans, Facebook, Fake news, Google, Instagram, Liberté numérique, Netflix, Nomophobie, Phnubbing, Réseaux sociaux, santé mentale, Smartphone, Temps d'attention, Utopie numérique, YouTube

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